L’ÉGYPTE AU TEMPS DE HUY
Les neuf années de règne du jeune pharaon Toutankhamon (1361-1352 av. J.-C.)[1] furent une époque troublée pour l’Égypte. Elles marquaient la fin de la XVIIIe dynastie, la plus glorieuse des trente dynasties de l’Empire. Les prédécesseurs de Toutankhamon comptaient d’illustres rois guerriers, des législateurs et des innovateurs, qui avaient fondé un nouvel empire tout en consolidant l’ancien. Juste avant son règne, toutefois, le trône avait été occupé par un pharaon étrange, aux dons de visionnaire : Akhenaton. Celui-ci avait rejeté tous les anciens dieux pour les remplacer par un seul, Aton, qui trouvait son essence dans le soleil dispensateur de vie. Akhenaton reste le premier philosophe dont l’Histoire ait gardé la trace, et le créateur du monothéisme. En dix-sept années de règne, il provoqua un véritable bouleversement dans les modes de pensée et de gouvernement de son pays. Mais, dans le même temps, il perdit la totalité de l’Empire du Nord (la Palestine et la Syrie) et mena le royaume au bord de l’abîme, ce qui incita des ennemis puissants à s’assembler sur ses frontières septentrionales et orientales.
Les réformes religieuses d’Akhenaton avaient introduit le doute dans les esprits, après des générations de certitude inébranlée remontant à des temps encore plus lointains que la construction des pyramides, mille ans auparavant. Et bien que l’Empire, déjà vieux de plus de mille cinq cents ans à l’époque de ces récits, eût traversé des crises par le passé, l’Égypte connut une brève période d’obscurantisme. Akhenaton ne s’était pas fait aimer des prêtres qui administraient l’ancienne religion et qu’il avait dépossédés de leur pouvoir, ni des gens du peuple, qui voyaient en lui le profanateur de croyances séculaires, en particulier leurs convictions relatives aux défunts et à l’au-delà. Après sa mort à l’âge de vingt-neuf ans, vers 1362 av. J.-C., la nouvelle capitale qu’il s’était bâtie (Akhet-Aton, la « cité de l’Horizon ») ne tarda pas à tomber en ruine tandis que le pouvoir retournait à Thèbes, la capitale du Sud. Au nord, le siège du gouvernement était la ville que nous appelons Memphis, mais à l’époque elle était moins importante que Thèbes. Le nom d’Akhenaton fut retranché de tous les monuments et il devint même interdit de le prononcer.
Akhenaton était mort sans héritier direct. Les trois règnes qui suivirent, dont celui de Toutankhamon fut le deuxième et de loin le plus long, s’avérèrent lourds d’incertitude. Aucun de ces rois ne laissa d’héritier légitime, et pendant cette période les pharaons eux-mêmes virent très probablement leur pouvoir jugulé par Horemheb, ancien commandant en chef des armées d’Akhenaton, désormais résolu à assouvir ses propres ambitions : restaurer l’Empire et l’ancienne religion, puis monter sur le trône. Il y parvint finalement en 1348 av. J.-C., peut-être après une lutte pour le pouvoir avec Ay, son immédiat prédécesseur, ancien fonctionnaire de haut rang à la cour d’Akhenaton. Tout comme Horemheb, Ay était un roturier ambitieux ; mais sa fille, Néfertiti, qui fut la Grande Épouse Royale d’Akhenaton, reste après Cléopâtre la reine la plus célèbre de l’histoire égyptienne. Le récit qui va suivre se situe au cours du règne de cinq années d’Ay – soit environ de 1352 à 1348 av. J.-C. –, toutefois Horemheb conserve une puissance considérable.
Pour sa part, Horemheb régna environ vingt-huit ans, jusqu’à un âge fort avancé, après avoir épousé la belle-sœur d’Akhenaton pour conforter ses prétentions à la couronne. Lui aussi s’éteignit sans héritier direct. Ainsi s’acheva la XVIIIe dynastie.
L’Égypte, qui sous Horemheb avait recouvré son unité, allait connaître son ultime apogée de gloire au début de la XIXe dynastie, sous Ramsès II. C’était de loin le pays le plus riche et le plus puissant du monde connu, abondant en or, en cuivre et en pierres précieuses. Le commerce était pratiqué tout le long du Nil – que l’on nommait simplement « le Fleuve » –, depuis la côte jusqu’à la Nubie et au Soudan, sur la Méditerranée (la « Grande Verte »), et sur la mer Rouge jusqu’à la Somalie (le Pount). Mais ce n’était qu’une étroite bande de terre accrochée aux rives du Nil, cernée à l’est comme à l’ouest par des déserts, et gouvernée par trois saisons : le printemps – shemou –, temps des récoltes et de la sécheresse, de février à mai ; l’été – akhet –, temps des crues du Nil, de juin à octobre ; et l’automne – peret –, temps de la végétation, quand poussaient les cultures.
Le niveau de la crue annuelle était d’importance vitale : quelques mètres de trop et les habitations risquaient d’être emportées, quelques mètres de moins et il n’y aurait pas de récolte. La différence entre prospérité et famine ne tenait qu’à cela.
Les anciens Égyptiens vivaient plus près que nous de la nature et du rythme des saisons. Ils croyaient par ailleurs que le cœur était le siège de toute pensée, de toute sensation. La fonction du cerveau se limitait, selon eux, à évacuer les mucosités vers le nez, auquel ils le supposaient relié.
La période durant laquelle s’inscrivent ces récits est infime, comparée aux trois mille ans de civilisation pharaonique, mais elle n’en fut pas moins cruciale pour l’Égypte. Celle-ci prenait conscience du monde plus agressif qui s’étendait par-delà ses frontières, et de la possibilité qu’un jour elle aussi soit conquise et s’éteigne. Ce fut un temps d’incertitude, de remise en question, d’intrigues et de violence – un miroir lointain où nous entrevoyons notre propre reflet.
Les anciens Égyptiens adoraient de très nombreuses divinités. Quelques-unes étaient propres à des villes ou à des localités, d’autres exercèrent un rayonnement qui s’accrut puis diminua au fil du temps. Certains dieux correspondaient à des notions similaires. Voici les plus importants d’entre eux :
AMON : roi des dieux et divinité tutélaire de Thèbes, la capitale du Sud. Représenté sous l’aspect d’un homme et associé à Rê, le dieu solaire suprême. Le bélier et l’oie lui étaient consacrés.
ANUBIS : dieu de l’embaumement, à tête de chacal. C’est lui qui, durant la nuit, protégeait la momie des forces maléfiques.
APOPIS : démon-serpent indestructible, qui attaquait matin et soir la barque de Rê, menaçant l’ordre cosmique.
ATON : dieu de l’énergie solaire, représenté sous l’aspect d’un disque dont les rayons s’achèvent dans des mains protectrices.
BASTET : déesse-chat.
BÈS : dieu nain à tête de lion. Protecteur du foyer et des femmes pendant l’accouchement.
CHOU : dieu personnifiant l’air, père de Geb et de Nout.
GEB : dieu de la terre, représenté sous l’apparence d’un homme couché sous la voûte céleste.
HAPY : dieu du Nil, spécifiquement en crue. Personnage androgyne dont les seins féminins symbolisaient la fécondité.
HATHOR : déesse de l’amour, de la musique et de la danse. Souvent figurée sous l’aspect d’une vache, ou d’une femme coiffée de cornes de vache et du disque solaire, elle était aussi la nourrice et la protectrice du roi.
HÉKET : déesse à tête de grenouille, qui insufflait la vie à l’enfant à naître en présentant devant ses narines le signe ankh.
HORUS : un des dieux les plus vénérés. Horus était le défenseur du bien, le fils à tête de faucon d’Osiris et d’Isis, et appartenait de ce fait à la plus importante triade de la théologie égyptienne. Il était en outre associé au soleil.
ISIS : mère divine, épouse et sœur d’Osiris.
KHÉPRI : le soleil levant. Symbole du devenir, ce dieu était représenté par un scarabée.
KHNOUM : symbolisait la force créatrice qui avait modelé le monde et les humains. Il était figuré sous les traits d’un homme devant un tour de potier.
KHONSOU : dieu de la lune, fils d’Amon.
MAÂT : déesse de la justice, de la vérité et de l’harmonie du monde.
MIN : dieu de la fertilité sexuelle.
MOUT : épouse d’Amon, dépeinte à l’origine sous l’aspect d’un vautour.
NÉFERTEM : fils de Ptah et de Sekhmet, il personnifiait le premier lotus sorti du chaos initial.
NEITH : déesse guerrière, originaire du Delta.
NEKHBET : la déesse-vautour de la Haute-Égypte, partie sud des « Deux-Terres » constituant la « Terre Noire ». Le lotus et la couronne blanche étaient associés à cette région.
NEPHTYS : épouse de Seth. De même que sa sœur Isis, elle était la protectrice des momies.
NOUN : divinité incarnant l’océan primordial d’où le monde était issu.
NOUT : déesse du ciel, sœur et épouse de Geb.
OSIRIS : roi des morts ; dieu du monde souterrain et de la résurrection. La vie après la mort occupait une place fondamentale dans la pensée des anciens Égyptiens.
OUADJET : déesse-cobra de la Basse-Égypte, partie nord des « Deux-Terres ». Le papyrus et la couronne rouge étaient associés à cette région.
OUPOUAOUT : divinité représentée sous l’aspect d’un chien noir, chargé d’ouvrir les chemins pour les morts ou pour les dieux.
PTAH : démiurge ayant créé le monde par la parole et la pensée, il avait l’aspect d’un homme enveloppé d’un linceul, le crâne rasé et un sceptre à la main.
RÊ (ou ATOUM) : principal dieu solaire.
RÉNOUTET : déesse des moissons.
SECHAT : épouse de Thot, avec qui elle partageait le patronage des lettres et des sciences. Elle était représentée par une femme coiffée d’une étoile à sept branches.
SEKHMET : déesse-lionne, elle défendait les autres divinités contre le mal et était associée à la guérison ; incontrôlée, elle devenait dangereuse et destructrice.
SETH : dieu au caractère ambivalent ; tantôt frère et meurtrier d’Osiris, tantôt protecteur de la barque de Rê. L’orage et la violence lui étaient associés.
SOBEK : dieu-crocodile.
THOT : dieu du temps et de l’écriture ; habituellement figuré avec une tête d’ibis, il revêtait quelquefois la forme d’un babouin.
THOUËRIS : protectrice des femmes enceintes et des enfants, elle était représentée par une femelle hippopotame pleine, marchant dressée sur ses pattes de derrière.